vendredi 24 juin 2016

Nous les menteurs, Emily Lockhart

Nous les menteurs,
                                          Emily Lockhart

 Gallimard Jeunesse
 288 Pages


    «  Une famille belle et distinguée.
L’été. Une île privée.
Le grand amour. Une ado brisée.
Quatre adolescents à l’amitié indéfectible,
Les Menteurs.

Un accident. Un secret. La vérité. »


            


         Comment lire un livre après tout le monde, épisode 2 ! Ne vous en faites pas, il y en a d’autres à venir ! Je peux vous apprendre comment faire pour lire ces bouquins qui ont enflammé la blogosphère, il y a de cela…un an… Bon allez, trêve d’ironie, je suppose que vous avez (tous ?) reconnu ce livre à la couverture sublime, qui n’avait récolté que des avis positifs à l’époque (si je me souviens bien). D’ailleurs, je l’ai acheté l’année dernière, mais il m’aura fallu attendre 12 mois pour le sortir pour de bon de ma PAL… Je me serais giflée !

    J’ai donc entamé cette lecture alors que les beaux jours pointaient le bout de leur nez (comprendre le soleil et les vacances), ce qui est totalement en accord avec la période durant laquelle se déroule l’histoire.
      En effet, l’intrigue prend place sur une île privée, pendant l’été. La famille Sinclair a pour habitude de se réunir en famille chaque année sur cette luxueuse île pour profiter des vacances. Les Sinclair sont beaux, blonds, sveltes, sportifs, riches et distingués. Le luxe, les belles villas au bord de la mer font partie intégrante de leur quotidien. Les petits enfants sont à l’image de leurs parents et grands-parents : intelligents et parfaits. Parmi eux se trouve Cadence, dont nous allons suivre l’histoire. Suite à un accident dont elle peine à se rappeler les circonstances, sa vie est devenue triste, terne et morose. Elle n’a plus revu l’île et ses cousins depuis deux ans. Jusqu’au jour où elle y remet les pieds…

    J’avais vraiment hâte de découvrir ce livre, dont je n’avais entendu que du bien. Surtout que je trouve la couverture magnifique ! Et le pitch avait l’air intéressant. Je dois avouer qu’au début j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire. Le style d’écriture est assez particulier, non pas qu’il me déplaise, mais il y avait un côté froid et détaché, qui me mettait assez mal à l’aise. Mais une fois que je m’y suis fait, je m’y suis attachée.
     L’écriture représente assez le personnage principal, c’est-à-dire Cadence. Elle a un côté un peu dépressif et morose à cause des séquelles de son accident. Je ne sais pas trop quoi penser d’elle, elle m’a paru fragile et forte à la fois, brûlée par un amour immense et incommensurable. J’ai aimé sa façon d’évoluer au fur et à mesure de son séjour sur l’île, son nouveau regard sur sa famille et les choses qu’elle découvre. Car c’est avant tout une histoire familiale : « un drame familial » est-il écrit sur la quatrième de couverture.
    En effet, la famille Sinclair joue un grand rôle dans cette histoire. Cette famille si distinguée et si parfaite qu’on se demande si c’est possible. Et effectivement, on découvre les dessous de ce tableau rutilant, doré et brillant. Quand les masques tombent, que les sourires se fendillent et que le vernis se craquèle, ce qu’il y a derrière n’est pas beau à voir. On découvre les rouages de cette machine parfaite, qui se grippent et se coincent, la belle image qui vole en éclats, les enjeux de pouvoir et la jalousie, les mensonges et les non-dits. La famille Sinclair a son lot de secrets et de tourments, qu’elle cache si bien.

      Le groupe des Menteurs est assez atypique. Il y a des fois où je me demandais où était cette « amitié indéfectible ». Les membres qui le composent sont authentiques et uniques. J’ai aimé la façon qu’a Cadence de les caractériser. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont liés par un lien solide.
       Un des points forts de ce roman est la relation entre les personnages et les personnages eux-mêmes. L’auteure a creusé leur psychologie, la complexité de chacun et son rapport avec les autres. Les liens qui se tissent, ceux qui se brisent. A travers Cadence, on découvre les (nombreux) membres qui composent la famille, les ambitions de chacun, les sentiments, la souffrance, la rancœur et la rancune, la colère et la joie. Chacun a l’air réel, dans toute sa complexité. Cependant je ne m’y suis pas trop attachée, ils m’ont semblé impossibles à saisir, et c’est bien dommage.

       Ensuite évidemment, il y a le déroulement de l’histoire. Nous découvrons petit à petit ce qui s’est réellement passé le jour de son accident, au gré de ses investigations, ses questions et les indices distillés dans les pages. Le mot « époustouflant » n’est pas utilisé pour rien. L’histoire démarre doucement, avant de s’emballer brusquement, nous menant dans un ballet frénétique qui va crescendo. C’est intense, il y a du suspense et c’est haletant que l’on suit la danse (quelle rime mes amis, quelle rime !). Nous allons de révélation en révélation, qui s’enchaînent lentement, puis rapidement, nous menant inexorablement vers la fin.
   Et quelle fin ! C’est une fin incroyable, complètement inattendue, renversante, bouleversante à en couper le souffle. Je suis restée comme deux ronds de flan, les bras ballants. Je crois bien que j’ai dû lire deux fois la page pour bien comprendre ce que je venais de comprendre. C’est une chute aiguisée comme un couperet, qui tombe avec un bruit sourd sur nos têtes. Je ne m’y attendais vraiment pas, j’ai pourtant émis plusieurs hypothèses, mais pas une fois je m’étais approchée de la vérité. Bref, sur le coup j’étais complètement sur le c*l.

      Bizarrement, alors que j’avais du mal au début, ce que j’ai le plus apprécié est la façon dont est écrit le récit. Les mots, les phrases hachées, le style, les tournures de phrase. Il y a quelque chose de poétique et de dramatique dans chaque alignement de lettres.

       Nous les menteurs a été une belle découverte, malgré un début un peu long. Je pense que c’est un livre à relire plusieurs fois, pour la beauté des mots, pour saisir l’intensité du récit et la profondeur des réflexions. Je l’apprécie mieux et plus avec le recul.

Nous les menteurs, c’est une histoire intense, poignante,
Au souffle puissant, vibrante d’émotion et de vérité. 

jeudi 23 juin 2016

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, Mary Ann Shaffer & Annie Barrows


Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates,
Mary Ann Shaffer & Annie Barrows 


    Nil éditions
 395 pages


       « Janvier 1946.  Tandis que Londres se relève douloureusement de la guerre, Juliet, jeune écrivain, cherche un sujet pour son prochain roman. Comment pourrait-elle imaginer que la lettre d’un inconnu, natif de l’île de Guernesey, va le lui fournir ? Au fil de ses échanges avec son nouveau correspondant, Juliet pénètre un monde insoupçonné et excentrique ; celui d’un club de lecture au nom étrange inventé pour tromper l’occupant allemand, le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates. Juliet découvre l’histoire d’une petite communauté débordante de charme, d’humour, d’humanité. Et puis vient le jour où, à son tour, elle se rend à Guernesey… »

            
        J’ai vu ce livre une ou deux fois sur la blogosphère, mais il ne m’était pas resté en tête très longtemps, jusqu’à ce que je tombe sur lui dans une brocante. (Un jour il faudra que je vous parle de ma passion pour les brocantes.) Le résumé et le titre m’ayant interpellée, je l’ai donc acheté (pour 50 centimes le livre, je n’avais pas grand-chose à perdre !). Eh bien vous savez quoi ? Ce livre est la preuve qu’on peut trouver des pépites parmi les stands d’une brocante ! Car je l’ai adoré, du début à la fin. En fait, même avant de le commencer, quelque chose me disait que j’allais aimer…

      Juliet écrit des livres, mais elle a du mal à retrouver de l’inspiration, surtout en cette période d’après-guerre. Cependant, une lettre d’un inconnu provenant de l’île de Guernesey pourrait bien changer la donne… On suit la correspondance de Juliet avec ce jeune homme, puis peu à peu avec les autres membres du club de lecture dont il fait partie.
       C’est un roman épistolaire, et, bien que je n’en lise pas beaucoup, c’est un genre qui ne me dérange absolument pas. L’histoire n’aurait d’ailleurs pas été pareille si elle avait été relatée sous forme de récit. Les lettres ont quelque chose d’authentique et d’attachant.

       L’histoire est superbe. Elle n’est pas si banale que ça, car elle nous apprend beaucoup de choses sur l’Occupation Allemande dans les îles Anglo-Normandes, dont on ne parle pas forcément beaucoup. Les lettres retracent la vie des insulaires sous la domination allemande, privés de tout contact avec l’extérieur. J’ai ainsi pu me rendre compte de la difficulté de cette période, et que la guerre n’avait épargné personne. C’a beau être une fiction, j’imagine que les auteures ont dû faire des recherches et se documenter, tout comme Juliet le fait après s’être liée d’amitié avec les habitants de Guernesey. J’ai ainsi appris les conditions de vie difficiles, la peur, la soumission et les restrictions qu’ils ont subis. Mais on se rend compte que les soldats allemands ne sont pas juste des soldats, qu’ils ont eux aussi été victimes de cette guerre. Ce livre nuance les idées que l’on peut se faire sur l’armée allemande : tout n’est pas noir et blanc, c’est bien plus compliqué que de mettre les allemands d’un côté et les Alliés de l’autre.

       Il y a autre chose que j’ai beaucoup aimé dans ce livre, c’est l’évocation de la lecture et de tout ce qu’elle peut apporter, même aux personnes qui ne lisaient pas. En effet, le Cercle de littérature a été créé durant la guerre, et à travers les lettres, on peut se rendre compte de l’impact qu’a eu la littérature sur chacun des membres du Cercle. D'ailleurs, ces derniers parlent, et m’ont fait découvrir par la même occasion, de livres très différents, qui ont eu un impact, voire changé leur vie. Bref, la lecture, c’est merveilleux, quoi.
     Je pense que le gros point fort de ce roman réside dans les personnages. Il y en a une multitude, mais chacun est différent, doté d’un caractère et d’une personnalité propres, donc je n’ai pas eu de mal à m’y repérer. J’ai adoré les membres du cercle, en particulier Dawsey, Isola et Elizabeth. Ils sont tous très attachants et touchants. J’ai aussi aimé Sidney, Amelia et bien sûr, Juliet. Elle est fantasque, drôle, têtue, joyeuse, attendrissante, sincère et pleine de vie. J’ai adoré les touches d’humour dont ses lettres étaient saupoudrées et sa relation avec les autres personnages. Elle donne l’impression d’être une bonne copine que j’ai toujours connue et que j’aimerais serrer dans mes bras. Les personnages sont très diversifiés, et c’est comme si je les connaissais depuis une éternité.  Ils sont hauts en couleur, pétillants et chaleureux. J’ai vraiment adoré les suivre, parcourir leurs lettres avec avidité, et chaque fois que j’ouvrais mon livre c’était comme retrouver de vieux amis.

       La progression du récit est aussi intéressante et bien menée puisqu’on assiste à l’amitié naissante entre Juliet et les habitants de Guernesey jusqu’à son arrivée sur l’île. Je regrette qu’il n’y ait pas eu une présence plus importante de Dawsey et Sidney à partir de ce moment, tout comme on ne parle plus beaucoup du Cercle. Le récit est scindé en deux, il prend donc une nouvelle tournure.
      Bien que ce roman aborde des sujets pas très joyeux, l’histoire est loin d’être sombre, dramatique et tragique. Bien au contraire, j’ai plusieurs fois souri, car c’est un récit qui reste léger, malgré les sujets traités. J’ai vraiment ressenti ça comme un concentré de bonheur et de malice, et je me suis immergée dans l’histoire pour me laisser emporter. J’avais vraiment l’impression d’être sur l’île avec eux, de sentir l’air marin et le vent dans mes cheveux, de voir la nature sauvage et la mer immense.

    Pour conclure, ce livre est une petite pépite. J’ai adoré, du début à la fin. C’est une excellente histoire que j’ai aimé suivre, en compagnie de Juliet et de tous ses amis. Je la qualifierai de « feel good ». Ils m’apparaissaient comme réels et m’ont entraînée dans leur sillage, pour vivre une aventure exaltante et débordante d’énergie positive. Je vous le recommande vivement !


Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, c’est drôle, fantasque, touchant, tendre et attachant. Des personnages délicieux et agréables à suivre, bref une excellente histoire !

mardi 21 juin 2016

A comme Aujourd'hui, David Levithan

A comme Aujourd’hui,
                                                David Levithan


 Gallimard Jeunesse
◎ 440 pages



     ○ « Chaque matin, A se réveille dans un corps différent, dans une vie différente. Il s’y est habitué. Il a appris à ne pas s’attacher, à ne pas s’immiscer dans l’existence de l’autre. Jusqu’à ce qu’il emprunte l’identité de Justin, 16 ans, et rencontre sa petite amie, Rhiannon. Dès lors, il n’y a plus de règle qui tienne. Car A a enfin croisé une fille avec qui il veut rester, jour après jour… »



       Dans la catégorie « arriver après tout le monde », je suis reine. Lire des livres qui sont sortis il y a un ou deux ans et qui ont défilé partout sur la blogosphère, c’est ma spécialité. Bref, ce bouquin, je l’ai vu partout sur les blogs, et je n’en ai entendu que du bien ! C’est pourquoi, longtemps après sa parution (et son achat…), j’ai décidé de me lancer. Qu’avait-il donc de si exceptionnel ?
     Ma foi, d’abord et surtout, l’originalité. Le pitch, vous le connaissez tous : A est un garçon, mais aussi une fille. Chaque jour, il incarne un corps différent, et ce depuis sa naissance. Sans chercher à savoir pourquoi, ni comment, il s’y est habitué. Ne pas s’immiscer dans la vie des autres, ne pas changer le cours de leur existence, ne pas interférer. Telle est sa vie. Mais un beau jour, il rencontre Rhiannon. Et tombe amoureux. A partir de ce moment, son existence va basculer. Il va transgresser les règles qu’il s’était imposées, pour pouvoir rester chaque jour avec Rhiannon.

      Quand on lit le résumé, l’histoire peut paraître étrange. Et elle l’est. Mais David Levithan réussit à rendre cette existence impossible si réelle, si possible, que j’ai été embarquée dans ma lecture. Le tout est très bien ficelé, réfléchi et minutieux, si bien qu’on en oublie que c’est improbable. En tout cas, le moins qu’on puisse dire est que cette histoire est loin d’être banale !
      Il est rare aujourd’hui de trouver des récits inédits et vraiment originaux. Alors j’ai été plutôt séduite ! Une autre chose qui m’a vraiment plu est la diversité des corps dans lesquels A se réveille. Il passe dans une multitude de vies différentes, et c’est ce que j’ai aimé. David Levithan ne l’a pas cantonné dans un seul type d’existence, A est passé dans une infinité de situations, certaines plus difficiles que d’autres.

« Quand on est cantonné dans le même corps, il est difficile de se faire une idée de ce qu’est la vie. Chacun demeure enfermé dans sa propre perspective. Tandis que lorsqu’on change soi-même chaque jour, on accède plus facilement à l’universel. […] Observer le monde à partir d’une multitude de points de vue m’a permis d’en éprouver toutes les dimensions. »

     J’ai relevé pas mal de belles et justes citations comme celle-ci. C’est certes un récit étrange mais aussi très poétique, et qui pousse à réfléchir. David Levithan pose une réflexion sur l’identité de chacun, ce dont un être est composé. Il aborde l’existence dans sa globalité, à travers ces corps si différents qui composent notre humanité. Comment vivre comme une fille alors qu’on se sent garçon ? Comment vivre alors qu’on n’aime pas son corps ? Autant de questions posées sur la recherche de sa propre identité.

    Concernant le personnage principal, A,  j’ai eu du mal à m’y attacher, à m’y identifier, peut-être justement parce qu’il n’a pas d’identité propre. Il m’a paru insaisissable. Son existence n’a pas de point d’attache et il n’aura jamais de relation durable. C’est une situation que je trouve assez triste. Je l’ai trouvé assez distant et froid à travers ses mots. Son histoire d’amour avec Rhiannon, bien qu’intense, n’a pas trop su me toucher. En fait j’ai eu du mal à ressentir une quelconque émotion durant ma lecture, et c’est vraiment dommage !
      J’ai terminé le livre en me disant que, décidément, il était trop bizarre. Avec du recul, je me dis que c’était quand même une belle histoire. Je pense que je l’apprécie un peu mieux dorénavant, après avoir laissé le temps passer. J’imagine que c’est un livre qu’on peut relire une seconde fois, parce qu’on peut toujours y trouver de nouvelles perles cachées parmi les mots.
           
      C’est un récit qui me laisse une impression assez bizarre, j’ai du mal à savoir si j’ai aimé ou pas. (Voyez comme ma chronique est « courte ».) En tout cas, c’était une très belle découverte et j’ai passé un bon moment en compagnie d’A et de Rhiannon.


A comme Aujourd’hui, c’est un récit original, universel, beau et étrange à la fois, mais très poétique.